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Équilibre numérique: pour une gestion consciente de la dépendance digitale
Joignable en permanence, partout et en tout temps. Journaliste, autrice et militante pour la défense de la santé mentale, Anna Miller explique dans cet entretien pourquoi il faut que les entreprises développent leur propre culture numérique et pourquoi les activités analogiques ont la vie dure à l’ère digitale.
La numérisation gagne toujours plus de domaines de notre vie. Quelles sont les conséquences pour notre vie privée et professionnelle?
Anna Miller: Cela veut dire que nous sommes exposé-e-s à un flux incessant d’impératifs numériques. Et non plus seulement de neuf heures du matin à cinq heures du soir, mais à tout moment et en tout lieu. Que ce soient les nouvelles urgentes des médias, les alertes des applications d’information ou les appels à l’action, ces impératifs qui nous arrivent par le biais de notre smartphone sont synonymes de nouvelles tâches et de travail.
Être joignable en permanence, qu’est-ce que cela fait de nous?
Le système nerveux central des êtres humains alterne les phases de tension et de détente. Nous avons besoin des deux pour être en bonne santé. Mais en raison de cette disponibilité permanente, nous sommes désormais toujours sous tension et ne parvenons plus à nous détendre. Ce qui fatigue fortement le système. Les conséquences risquent non seulement d’aller des troubles du sommeil à des maladies anxieuses ou dépressives, mais elles peuvent aussi être physiques, que ce soient des douleurs chroniques ou même des infarctus.
Si l’impact sur notre santé mentale et physique est tel, pourquoi ne pas tout simplement nous déconnecter?
Parce que nous sommes des êtres sociaux. Nous avons peur que la société nous punisse si nous sommes inatteignables. Par exemple, en nous excluant d’un groupe. C’est une des peurs originelles de l’être humain. Dans les premiers temps, l’exclusion du groupe signifiait une mort certaine. Nous portons toujours cette peur en nous et donc, souvent, nous ne voulons pas prendre le risque de nous isoler.
« Nous avons peur que la société nous punisse si nous sommes inatteignables.»Anna Miller
Une hormone du bonheur, c’est plutôt positif… Où est le problème?
Évidemment, à court terme, nous nous sentons mieux. Mais c’est aussi la raison pour laquelle nous nous tournons vers notre smartphone dès que nous n’allons pas bien. C’est le moyen le plus simple de nous changer les idées. Le psychanalyste français Michaël Stora voit dans le téléphone mobile un «doudou sans fil». Le problème ici vient de ce que d’autres activités qui nous feraient du bien à ce moment – par exemple le sport ou la lecture – n’apportent pas le même coup de dopamine. C’est pourquoi nous préférons revenir à notre smartphone.
Et pourquoi les choses se passent-elles comme ça?
Parce que nous, les êtres humains, surestimons systématiquement notre volonté. Un smartphone bien en vue sur la table, c’est comme les chips ou les cacahuètes à l’apéro: finalement on craque et c’est ensuite difficile d’arrêter. Je le constate aussi chez moi: si je peux choisir entre un puzzle et Netflix le soir en rentrant à la maison, il me faut un énorme effort de volonté pour me tourner vers le puzzle. Et d’autant plus si l’ordinateur portable est déjà ouvert sur le canapé.
C’est déjà une forme de dépendance…
C’est notre société qui souffre d’une addiction collective. Nous ne sommes pas au début d’une dépendance ou près d’en sortir. Non! Nous sommes en plein dedans.
«Nous ne sommes pas au début d’une dépendance ou près d’en sortir. Non! Nous sommes en plein dedans.»Anna Miller
Quelles en sont les conséquences?
Que nous, en tant que société, nous dirigeons en ligne droite vers un burnout numérique collectif. Il faut bien en être conscient. Et il nous faut commencer à remettre en question notre comportement en ligne et, ce qui serait encore mieux, à le modifier. Mais le premier pas est d’en prendre conscience. Le mieux est d’essayer d’observer pendant quelques jours notre propre utilisation du numérique – si possible sans jugement de valeur. Et aussi de chercher à identifier les moments où je me sens bien. Mal? Qu’est-ce qui m’énerve dans mon comportement? Et comment est-ce que je me sens après être resté longtemps en ligne? Si on est toujours stressé-e, n’arrive pas à dormir ou est souvent agressif ou agressive, il faut se demander si ce n’est pas lié au temps passé sur son smartphone.
De manière générale, que pouvons-nous faire face à ce genre de problèmes?
Comme je l’ai dit, il faut d’abord en prendre conscience et être plus circonspect face à l’offre numérique. Et il faut aussi reconnaître que le stress numérique est un véritable stress. D’autre part, nous pouvons activement apporter notre contribution pour créer une nouvelle culture numérique, plus respectueuse et concertée où l’on clarifie les questions liées à l’atteignabilité, à l’urgence et aux attentes – aussi bien dans le contexte privé que professionnel.
Concrètement, comment le faire?
Dans la sphère privée, il faut bien comprendre que le fait de ne pas répondre dans les cinq minutes ne signifie pas la fin d’une relation. Dans le domaine professionnel, il faut notamment clarifier comment gérer les absences dues aux vacances au sein de l’entreprise. Et il faut aussi qu’un ou une cadre qui travaille le soir et envoie encore des mails communique clairement qu’elle n’attend pas de réponse avant le lendemain matin. Cela peut par exemple être précisé dans la signature du mail.
Quels autres paramètres la culture numérique d’une entreprise doit-elle prendre en compte?
Pour moi, il faut par exemple aussi définir des règles pour les séances: s’il s’agit d’une rencontre Zoom, pouvons-nous nous mettre d’accord sur le fait qu’il faut fermer tous les autres programmes, laisser les smartphones de côté et nous concentrer sur la séance. Si quelqu’un doit subitement s’occuper d’autre chose, il peut quitter l’écran. De cette manière, on sait clairement que ceux et celles que nous voyons sont vraiment présent-e-s. Comme dans un espace réel. Une personne qui parle ou présente quelque chose mérite notre attention. Les téléphones mobiles restent donc dans les poches et si des laptops ne sont pas nécessaires, il n’y a pas non plus besoin de les ouvrir ou de les avoir avec soi - une feuille de papier et un crayon sont amplement suffisants pour prendre des notes. Il ne s’agit pas ici de revenir au bon vieux temps, mais simplement de préserver également dans l’époque numérique le respect, l’aspect humain et la concentration. De cette manière, nous serons non seulement plus heureux ou heureuses et en meilleure santé, mais les entreprises seront aussi plus performantes.
Publié le: 10.6.2022
Dernière mise à jour: 30.7.2024
Auteur-trice: Dominic Karrer
«Une personne qui parle ou présente quelque chose mérite notre attention.»Anna Miller
Portrait
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Anna Miller, née en 1987, est journaliste libre, autrice et milite pour la santé mentale. Elle a fondé en mars 2021 Digital Balance Lab, participe à des congrès comme experte du domaine du Digital Wellbeing et conseille des entreprises sur le thème de l’équilibre numérique @work. Plus
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Un laboratoire pour promouvoir le développement humain et la santé psychique dans un monde toujours plus numérique. Et un espace de rencontre pour tous ceux et toutes celles qui sont convaincues que la numérisation de l’avenir doit se faire dans le respect des valeurs humaines. Plus